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dore l’inquiétait ; elle ne comprenait pas un mot à sa façon de penser et d’agir. Elle n’entrait par aucun endroit dans ses idées. Elle aimait la paix, ou plutôt la torpeur ; et elle éprouva un soulagement sensible quand elle vit ce turbulent personnage se détacher d’elle et aller porter ses flammes ailleurs. Elle ne souffrit aucunement de ses infidélités ; bien au contraire, car elle eut une révélation que beaucoup de gens la plaignaient, et, certainement, unir aux bénéfices de l’insensibilité ceux de la sympathie qu’on vous porte pour un malheur qui ne vous cause aucune souffrance, il n’y a rien de plus complétement agréable.

Elle n’aimait pas sa fille, elle ne la détestait pas non plus ; en somme, elle soupçonnait chez la jeune princesse des affinités choquantes avec Jean-Théodore. De toute la famille, celui qui lui agréait davantage et la dérangeait le moins, c’était le prince Maurice, parce qu’il arrivait quelquefois à celui-ci de passer une heure ou deux avec elle à dévider de la laine.

Son Altesse Royale, enfin, pour achever un portrait qui ne saurait être fait avec trop de soin, en raison du respect dû à l’auguste modèle, possédait un moyen unique, mais bien puissant et bien précieux, de communiquer avec l’univers pensant ; elle était extrêmement cancanière.

En entrant chez sa fille, elle daigna répondre à la profonde révérence de Liliane, en embrassant sur le front la fille du docteur.

— Bonjour, ma petite, dit-elle avec un sourire éteint ; on m’a dit que tu étais chez Auguste et je suis venue précisément pour te parler.

Liliane prit l’attitude de l’obéissance passive.

— Mon Dieu ! ce n’est pas que je m’intéresse le moins