Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qui lui manque. Il faut, bon gré mal gré, qu’il se prélasse noblement au travers de la vie, réglant la cadence de ses pas sur un air majestueux exécuté par l’orchestre des convenances, et, pour peu qu’il se hâte ou s’arrête, il fausse son métier, ce qui le déshonore. Ce n’est pas ainsi que régnaient jadis Théodoric, roi des Goths, ou le khalife Mansour ; mais c’est la mode actuelle, il faut s’y soumettre, et, plus un prince agrée à son entourage, plus on peut être convaincu qu’il ressemble de près à une poupée dont les ressorts admirables disent : Mon peuple et ma dignité. On lui voit aussi remuer les yeux ; mais, sous la peau, il n’y a que du son.

Hélas ! le prince de Burbach était un homme ! Pendant une heure, il se débattit contre cette vérité ; mais il la sentait. Il la subit.

Il prit un flambeau, passa dans son cabinet, et s’asseyant devant une table, se mit à lire des rapports militaires, des documents sur l’agriculture, un projet d’agrandissement pour la promenade, et en lisant il annotait. Par ce procédé appliqué obstinément et avec une ténacité cruelle, il parvint à maîtriser son agitation, assez pour qu’elle ne parût pas au dehors. Mais, au dedans, quels ravages !

Le jour était venu, et l’amant malheureux continuait sa tâche ; huit heures sonnèrent. Un valet de chambre entra discrètement, apportant du thé, et avertit Son Altesse Royale que M. le professeur Lanze arrivait. C’était l’heure de la visite quotidienne, aussi nécessaire à la vie du docteur, et à celle du souverain, que le pouvaient être les retours périodiques de la lune et du soleil pour l’ensemble de la nature.

— Bien, dit Jean-Théodore ; qu’il entre.

Le professeur Lanze se présenta. Jean-Théodore lui fit