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Puis elle sortit. Il est fâcheux pour les sentiments tragiques que les formes de la vie moderne ne s’y prêtent pas. Quand madame Tonska arriva dans la salle d’attente, elle n’y rencontra personne. Une lampe fumeuse éclairait fort mal, et elle eut quelque peine à trouver l’issue par laquelle elle devait sortir. Elle arriva comme à tâtons dans l’antichambre déserte. C’est qu’il était trois heures du matin. Elle dut aller de droite et de gauche, ouvrant les portes dans les ténèbres. Il lui fallut appeler. On peut s’imaginer ce que furent ces diverses opérations pour une personne dans sa disposition d’esprit et qui eût voulu garder sa dignité. À la fin, un valet de pied se montra. La comtesse demanda ses gens ; on réveilla les uns, on chercha les autres à l’office. L’empressement même qu’on mettait à se hâter rendait la situation plus prosaïque. Enfin, la voiture arriva sous le perron, madame Tonska y monta et partit, dans un désordre de sentiments, grands, petits, agacés, exaspérés, qui seraient extrêmement difficiles à débrouiller et à décrire.

Pour Jean-Théodore, une fois seul, il avait repris sa promenade.

Quand on a du chagrin, quand on a de la joie, c’est également alors que se font les examens de conscience. Le prince se trouva fort à plaindre. Tout revenait pour lui à dire : Je voudrais être aimé. Il ne l’était pas. Il avait donné beaucoup et rien reçu. Tandis qu’il livrait son cœur, on jouait avec. L’indignation ne le tirait pas d’affaire. Il avait beau se répéter : Je me consolerai ; en attendant, il souffrait.

Puis, qu’est-ce que c’est qu’un prince devant les soucis de l’existence commune ? Le plus désarmé des êtres. Il ne peut pas courir après celle qu’il veut ramener ; il ne peut pas crier quand on lui fait mal ; il ne peut pas demander