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m’a jamais aveuglée sur l’insuffisance de votre génie. Vous ne comprenez pas votre époque, et la façon dont vous gouvernez ruinera et vous et votre famille. Vous courez les yeux fermés à une révolution ! Oh ! ne souriez pas ! N’affectez pas de me faire comprendre par ce haussement d’épaules votre dédain bien connu pour les femmes politiques ! Je ne suis pas à l’apprendre. Chaque fois que j’ai voulu, avec les ménagements de l’affection la plus méconnue mais la plus fidèle, vous amener devant la vérité, vous avez fermé les yeux davantage et affiché, avec moi, des airs de supériorité et essayé des railleries dont je ne m’offense plus désormais. Vous n’avez nul sujet de m’accuser de jouer à la Maintenon, puisque je vous quitte pour ne jamais vous revoir. Vous savez, vous sentez trop que la conviction la plus franche m’arrache seule mes paroles. Faites donc un effort ; rentrez en vous-même ; changez de système, renvoyez vos laquais qui vous servent de ministres, et faites en sorte que, bientôt, du fond de mon exil, je puisse apprendre que l’homme qui m’a intéressée pendant quelques jours, n’était pas indigne de tout point du sentiment que j’abdique à cette heure !

En écoutant ces paroles, Jean-Théodore, froissé, redevint par ce seul motif maître de lui. Il regarda froidement la pythonisse, et quand, à la fin de son discours, elle lui fit une profonde révérence et marcha à reculons vers la porte, il se leva, et salua à son tour, comme s’il mettait fin à une audience ordinaire.

Sur le seuil, la comtesse s’arrêta ; l’indignation enflamma ses yeux, gonfla ses narines, et voyant le prince impassible et ne lui disant mot, elle éleva les deux bras comme pour le maudire, et s’écria d’une voix stridente :

— Vous êtes un misérable !