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d’heure, la colère prit chez lui le dessus. Des supplications, des raisonnements tendres, il en vint aux apostrophes véhémentes et ne ménagea pas les sarcasmes. Sur ce terrain, il trouva une digne adversaire. Un orgueil de fer heurta le sien, et la plus violente des altercations éclata comme une tempête. Ce fut un tournoi à fer émoulu où les deux tenants firent merveille. Des deux parts, on se visa en pleine poitrine. Le prince malmena rudement les comédiennes de vertu, récrimina sur un besoin d’émotions qui se satisfaisait par des scènes constantes et déplacées, et dénonça une coquetterie froide qui conduisait à des aventures comme celles de Conrad Lanze.

L’amante, pâle de fureur et se prenant au style le plus serré de l’étiquette, ne parlant plus ni à Théodore, ni à l’ami, ni à l’époux de son âme, mais à Monseigneur, à Son Altesse Royale, proclama en termes outrageants la bassesse bien connue des souverains, et étala avec raffinement la fameuse anecdote en faveur de laquelle Dieu, après avoir créé l’homme, trouvant un reste de boue à sa disposition, en fit les laquais, puis les princes. Elle déclara que ce qui était généreux n’était pas du ressort de Son Altesse Royale. Elle avoua que si elle avait congédié Conrad, c’était pour son propre honneur ; mais qu’au fond elle l’aimait et regrettait de n’avoir pas suivi son penchant pour une créature si noble ; enfin, elle termina sa péroraison. Jean-Théodore, réduit au silence, n’ayant plus d’autre ressource que de se ronger les poings, était tombé morne dans un fauteuil.

— Monseigneur, un mot encore ! Bien que le plus parfait mépris ait succédé à une erreur que je pleurerai toute ma vie, je supplie Votre Altesse Royale de peser le dernier conseil d’une personne qui lui veut du bien. Je vous dois la vérité. L’illusion qui me faisait croire à vos qualités ne