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nez, lisez ! Pour moi, je pars, et j’irai consoler l’auteur de mes misères.

Le prince saisit le papier que lui tendait Sophie. Ce qu’il y trouva, ce fut l’accablement, ou, pour mieux dire, la prostration d’un homme sans nerf et sans courage qui, chargé du loyer de ses fautes, succombe sous le poids, et crie bonnement aux échos, demandant merci et de l’aide.

Il s’efforça de faire passer sa conviction dans l’âme de son amie. Mais il n’y réussit à aucun degré. Si le comte Tonski avait été simplement un malheureux, n’ayant de torts que ce qu’il en faut pour rendre légitimes les rigueurs du destin, sa femme se serait peu préoccupée de lui ; c’était précisément, uniquement la perversité excessive du cas qui allumait son imagination. Elle était d’autant plus emportée à un dévouement extraordinaire, que celui pour lequel elle le méditait le méritait moins ; de sorte que plus le prince la raisonnait, mieux il lui démontrait l’infamie de son mari, aussi plus il fortifiait sa romanesque résolution. Une sainte n’eût pas mieux fait. Elle était charmée de dépasser les saintes.

— Adieu, dit-elle, ne me pressez pas davantage. Adieu. Tout est inutile. Je suis résolue. Comme la Cour sera étonnée demain, n’est-ce pas ? Que de commentaires ! Les bonnes langues de la Résidence ne vont guère m’épargner ! Ne vous en occupez pas. Laissez dire ! Une sorte de joie mélancolique résulte d’être mal jugé. Rappelez-vous toujours que je vous aime. Oui, Théodore, vous étiez l’époux de mon âme.

Il faut l’avouer : le prince était plus étonné, et, en vérité, plus blessé, plus irrité qu’attendri. Ce que la comtesse considérait comme surhumain et sublime lui semblait insensé et presque odieux. Au bout d’un quart