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eût souhaité lui donner l’intelligence. Mais aucune amitié ne pouvait se rétablir jamais entre un Lanze et le prince Ernest. Le vieux docteur y avait mis bon ordre, dès longtemps, pour lui-même et son fils, au moyen d’une démonstration scientifique.

Un soir qu’au palais, le rejeton mal venu de la maison régnante avait, dans une scène violente, pris le serviteur de la famille au collet et l’avait secoué comme un prunier dans la saison des fruits, le savant rentré chez lui et en possession plénière de son sang-froid, de sa robe de chambre et de sa pipe, avait dit à Conrad :

— Je suis ravi de ce qui vient d’arriver ! Quelle manifestation irréfragable de l’atavisme ! Malheureusement, la qualité du sujet s’oppose à ce que j’en fasse l’objet d’une communication à la Revue médicale ! Pendant que je me colletais avec ce jeune énergumène, je fus frappé de lui voir absolument les mêmes yeux qu’au portrait de son infâme trisaïeul maternel, Jérôme Weiss, devenu landgrave de Hütten pendant la guerre de Trente ans, mais qui n’était qu’un pandour, et, sur cette indication précieuse, je lui ai retrouvé, pendant que je rajustais mon habit, les contours de la bouche et la forme du menton de sa quadrisaïeule, Philippine Hartmann, la fille du cordonnier, si lamentablement épousée par amour, et dont son mari ne légitima les enfants qu’à force d’argent prodigué aux conseillers auliques !

Cette doctrine avait pénétré l’esprit du sculpteur, et il considérait le prince Ernest sous le même jour qu’un tjandala peut l’être par un Hindou. Le misérable est issu de Brahma, sans doute, mais des pieds du Dieu.