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— Les arts sont la religion de l’avenir ! Quand l’homme se contemple dans sa propre pensée, il voit Dieu et, aussitôt, il se répand en œuvres magnifiques ! Je ne sais si vous êtes de mon avis, mais je boirais volontiers quelque chose.

— Allons boire quelque chose, dit le prince.

Conrad insista pour se retirer, et, malgré les efforts des deux associés, il réussit à se dégager et retourna chez lui. À peine y était-il que le prince Ernest entra dans sa chambre.

Il avait toujours l’air souriant. Cependant il arpentait l’appartement de long en large, et tantôt s’arrêtait devant la pendule, tantôt devant les lithographies ou gravures suspendues à la muraille ; il touchait aussi le sucrier et dérangeait les flambeaux : bref, il avait quelque chose à dire et ne savait comment débuter. À la fin il prit son parti.

— Du diable si je me gêne avec toi ! s’écria-t-il ; je suis venu pour te parler sincèrement, là, et du fond du cœur ! Eh bien, je n’ai plus le sou ! Voilà le grand mot lâché ! Tu entends bien, je n’ai plus le sou, et, de gré ou de force, par contrainte ou par amour, il faut que mon frère ouvre sa bourse ! Tu peux le lui écrire de ma part, et c’est pour t’en informer que me voici.

Conrad ne répliqua pas. Le prince Ernest, se dandinant d’un air gauche et ricanant en tortillant son cigare, poursuivit d’une voix aigre :

— Penses-tu, par hasard, que c’est pour mon plaisir que je me promène avec un citoyen Franier ? As-tu fait attention à ses bottes ? Elles ont déjà été usées par deux de ses amis et ne sont à lui qu’en troisièmes noces ! Mais il me faut de l’argent, et quand ces deux syllabes il faut se glissent quelque part, on obéit, mon pauvre Conrad !