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Laudon leva les épaules.

— Je l’avais prévu ! s’écria-t-il, je vous l’avais dit ! Il y a dans tout ceci des nuances, des délicatesses extrêmes, qu’un Français seul peut saisir !

— C’est mon avis, répliqua l’inexorable Nore ; et, maintenant, allons nous coucher. Il est trois heures du matin.

Les voyageurs gagnèrent leurs lits, où ils dormirent fort bien jusque vers neuf heures. Alors ils se levèrent. La matinée était ravissante. Un vent tiède courait sur les eaux du lac et les fronçait par grandes ondes. En haut du ciel, à peine quelques petits nuages blancs floconneux dormaient au sein de l’azur, et, dans tous les arbres fleuris des rivages, les oiseaux menaient un tel train de chants, de gazouillis, de trilles précipités et de cris aigus, chacun y était si affairé, volant et se mêlant aux bandes tumultueuses, qu’évidemment c’était le jour des demandes en mariage dans ce petit monde de vagabonds.

Après avoir bouclé leurs valises, les trois calenders prirent congé les uns des autres. Nore, ayant décidé qu’il accompagnerait Laudon, partit avec lui pour Milan, et Lanze continua solitairement sa route vers Florence. Quand il se trouva seul, ses pensées reprirent leur cours naturel. L’attraction que les esprits de ses compagnons avaient exercée sur le sien cessa de se faire sentir. Il retomba dans une mélancolie sombre, et il arriva dans cette ville misérable, résolu à faire son devoir, ne prenant aucun plaisir ni à la vie, ni à son art, ni à rien.

Il était installé à l’hôtel depuis deux jours, tâchant de s’occuper de ses travaux, quand un matin, en traversant une rue, il s’entendit appeler d’une voix forte, et, se retournant, il aperçut à dix pas de lui le prince Ernest de Burbach, frère de son souverain. Comme il mettait le