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rée chez Gennevilliers. Lucie et lui m’engagent à me préparer à la vie publique ; ils entendent, sur ce point, les choses autrement que je ne le faisais. Je croyais suffisant de me laisser nommer à une position quelconque, soit par les électeurs, soit par le gouvernement. Avec mon bon sens naturel et mes connaissances générales, j’étais assez sûr de me bien tirer de tout. Ils pensent différemment, et quand je leur ai exposé mon système, qui est universellement admis et pratiqué, Gennevilliers a souri avec amertume et Lucie s’est indignée.

— Monsieur de Laudon, m’a-t-elle dit, ce sont des sophistes comme vous qui perdent et ruinent tout !

— Ma chère amie, a interrompu Gennevilliers, ce sont les prédicateurs comme vous qui font les hérétiques obstinés.

Je me suis défendu quelque temps ; mais, comme mes moments sont peu précieux, qu’ils me pressaient beaucoup et que j’avais peur de tomber dans la mésestime de Lucie, je me suis mis peu à peu à examiner de plus près certaines questions ; Gennevilliers m’a offert d’assez gros livres ; et, comme Lucie souriait en me les voyant prendre et jurait que je ne les lirais pas, je me suis piqué d’honneur ; j’en ai parcouru quelques pages, et il est de fait que je ne m’ennuie plus autant. Je me surprends même çà et là à étudier pour le plaisir de le faire, indépendamment de la gloire de défendre ma science contre la taquinerie mutine de madame de Gennevilliers.

Elle a passé une partie de son enfance à Naples. Depuis son mariage, elle a fait conjugalement un voyage en Espagne, un autre en Orient ; maintenant elle est en Suisse. J’ai remarqué que d’avoir vu beaucoup de singularités a certainement implanté quelques idées originales dans cette petite tête, et, bien que toujours convaincu que