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Il n’en dit pas davantage, et, depuis ce moment, il ne me prononça plus mot.

J’eus la douleur de le perdre. Je me trouvai dans une disposition tout à fait nouvelle, ne sachant que faire, ni de moi-même, ni de mon temps. Je n’avais nulle envie de retourner au club où j’avais jusqu’alors passé ma vie, et, les premières semaines écoulées, quand je sentis qu’il fallait pourtant reprendre à quelque chose, je ne trouvai que le vide. Le matin, je fumais deux ou trois cigares, je lisais un ou deux journaux, je m’habillais, je sortais, j’errais de droite et de gauche. Je ne savais personne que j’eusse la moindre envie de regarder.

Ce fut dans cette triste disposition qu’un jour je rencontrai Gennevilliers. Je l’avais connu au club quelques années auparavant ; mais il n’y venait presque plus depuis son mariage et s’était fait nommer député. Il m’emmena chez lui et me présenta à sa femme.

La semaine suivante, j’y dînai. Il n’y avait personne ; je passai la soirée là. Certainement, un mois auparavant, je m’y serais fort ennuyé ; je ne sais comment, le temps ne me parut pas trop long et je me trouvai bien. Gennevilliers n’a pas précisément ce qu’on peut appeler de l’esprit ; mais on aperçoit en lui de la bonté. La politique est sa grande affaire. Il prétend que, si l’on n’y prend garde, la société est en train de se perdre. Il s’occupe d’un tas de choses auxquelles je n’avais jamais songé. Il parle bien et, en somme, est intéressant. Je crois qu’il a pour moi la plus sincère amitié et je la lui rends. Ce qui est également vrai, c’est que je ne saurais plus vivre sans lui et sans sa femme.

Ah ! quant à elle, croyez-moi, c’est une perle ! Je ne sais pas s’il existe ou non, dans le monde, beaucoup de personnes qui lui ressemblent ; vous savez que j’y ai peu