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Au commencement de l’hiver dernier, je me suis trouvé, pour la première fois de ma vie, dans une situation désagréable. D’abord je m’aperçus, et, après examen, il me fallut bien le constater, que ma fortune se dérangeait. Cela me surprit ; je n’avais rien fait absolument qui dût me préparer à cette découverte. Vous savez que je n’ai pas de passions. Néanmoins je vérifiai que j’avais perdu quelques paris qui ne laissaient pas que d’être assez considérables ; que le whist de chaque soir, whist très-bourgeois et très-paisible, m’avait emporté une assez grosse somme ; que, tout en me rendant un compte parfait du manége de Flora Mac-Ivor et en n’étant nullement sa dupe, je lui avais donné depuis trop mois beaucoup plus que je ne l’aurais soupçonné, et qu’enfin Hautebraye, à qui je croyais avoir emprunté quelque argent, m’en devait.

Je lui en parlai, et il en résulta entre nous une discussion d’autant plus désagréable, que je crus m’apercevoir qu’il m’exploitait. Il n’en était rien ; j’en ai acquis la certitude. Ce serait plutôt moi qui, à certains égards, aurais abusé de son extrême candeur en bien des choses, car je suis infiniment plus fort que lui ! Mais vous comprenez que, du moment où l’on se croit trompé, on devient furieux. Nous eûmes donc une prise terrible et nous restâmes brouillés !

Ma vie se trouvait ainsi désorganisée, quand il m’arriva une autre histoire. Jean de Gordes, sans vouloir écouter personne, épousa cette danseuse des Délassements-Comiques que toute l’Europe connaît sous le nom de Saute-Ruisseau. N’allez pas vous imaginer qu’il était amoureux d’elle ! D’abord elle n’est rien moins que jolie, légèrement gâtée par la petite vérole, et je luis vois, haut la main, trente-sept ans ; mais mon pauvre ami avait là ses habitudes, et je crois, sans en être sûr, qu’elle lui avait fait