Page:Glouvet - Croquis de femmes, AC, vol. 61.djvu/3

Cette page a été validée par deux contributeurs.
5

pelles de fer bien emmanchées ? Oh ! misère ! Est-il donc besoin qu’une femme vous enseigne comment des hommes doivent se venger ?

La Jaquette avait ainsi parlé. Pâle, transfigurée, les bras étendus en croix, elle se tenait debout auprès du colporteur. Les villageois frissonnèrent au souffle de ses paroles enflammées.

— Je ne refuse pas d’affûter les Prussiens, moi ! grommela l’un.

— Moi non plus, fit un autre. Après tout, si je n’ai pas de fusil, ils en ont. Le premier que je rencontrerai face à face m’en fournira.

— Les gens d’Oulchy ont bien enfermé quinze traînards dans une écurie, pas plus tard qu’hier.

— Et le petit Fromont, de Lannoy, a tué un officier derrière sa haie.

— Nous n’avons pas plus froid aux yeux que ceux-là, peut-être !

Ils s’excitaient ! les voix se faisaient plus rudes. Quelques-uns cependant hochaient la tête d’un air soucieux. La femme s’élança vers ces derniers, au milieu du groupe :

— Vous reculez, vous autres ? Ça ne vous fait donc rien, la honte, le pillage, la vue de l’étranger dans vos sentes ? Quoi ! notre terre, notre terre à nous, qui fait pousser le blé de France, porte la marque des souliers prussiens, et la rage n’allume pas votre sang ? Ah ! mon Jacques, tu es bienheureux d’avoir reçu le coup de la mort à Leipzig, sur le terrain de nos victoires, puisqu’il n’y a plus de braves gens au pays à cette heure !

— Mille diables ! Tu crois ça, pour de bon, la Jaquette ? Attends un peu. Ohé ! vous autres, les enfants du Plessier : en route ! On ne meurt qu’une fois, allons-y !

L’homme qui avait prononcé ces mots brandit un long pic à deux dents et le fit tournoyer au-dessus de sa tête. Il était de haute taille : ses cheveux incultes se hérissaient comme une crinière ; une énergie furieuse étincelait dans son regard. Tous ses compagnons, électrisés, dressèrent leur poing vers le ciel :

— En avant ; nous sommes prêts ! Les gens du Plessier ne sont pas des fainéants… Gare aux soldats de Blücher !

ii

La nuit avait depuis longtemps étendu ses ombres sur le village silencieux ; une nuit funèbre de mars, lourde et pluvieuse. La buée du dégel s’élevait lentement, en brouillard opaque et gluant ; les gouttes d’eau tombaient une à une du toit dans les rigoles pleines, avec un bruit triste. Des chats abandonnés se plaignaient au bord des lucarnes. La veuve était seule, ramassée sur une chaise basse, devant le feu expirant : elle songeait. Jaquette avait aidé ses voisines, jusqu’à la dernière, à remplir les carrioles, à atteler les juments, à tourner le coin de la mare. Plus personne au hameau. Les hommes étaient partis de leur côté, chargés d’armes disparates,