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— Oui, mes garçons, il y a du nouveau. Aujourd’hui, 1er mars 1814, on peut dire que nous sommes sauvés. Les maudits qui ont osé paraître chez nous en pillards ne reverront pas leur pays.

— On ne peut pas tout tuer, fit quelqu’un. Ils sont trop !

— Que chantes-tu là, toi ? On les battra l’un après l’autre : c’est la manière du petit Tondu. Je dois même vous dire qu’il marche lui même en ce moment sur eux d’un côté, pendant que Mortier, qui s’y connaît, les rabat de l’autre ; et les Prussiens, qui ont perdu courage, se laissent refouler sur la rivière d’Aisne. Ils y boiront tous leur dernier coup. Les Kaiserliks et les Cosaques seront réglés ensuite, soyez tranquilles.

— A-t-on coupé les ponts ?

— Il n’en reste plus qu’à Soissons ; mais le canon garde ceux-là, et du bon canon encore ! Les gueux sont dans la souricière ; nos peines vont finir.

— Que Dieu vous entende, marchand ! car les malheurs sont grands au jour d’aujourd’hui !

— Douteriez-vous de la délivrance quand les Prussiens traînent débandés sur tous nos chemins, et que les hussards du Tondu les ramassent par centaines comme du bétail ? N’en voyez-vous pas tous les jours qui rôdent, égarés, loin des colonnes ?

— Ça, c’est vrai.

— Eh bien, enfants, c’est signe de déroute ; la victoire est à nous. Mais songez à aider nos soldats ; les troupes isolées, c’est votre affaire. Écoutez, voici l’ordre. Prenons d’abord le bulletin du Maréchal Mortier.

Le colporteur lut au milieu d’un profond silence :

« Habitants des campagnes, levez-vous contre l’envahisseur. Saisissez-vous des armes abandonnées par un ennemi aux abois ; défendez vos maisons ; arrêtez les convois, coupez les ponts ; luttez avec nous pour la défense de la patrie. »

Ce n’est pas tout, ajouta l’homme. L’Empereur vous commande (voilà la feuille imprimée) de sonner le tocsin comme signal, de fouiller les bois, d’assaillir la queue des colonnes, de vous battre comme de vrais Français contre l’étranger. Pour chaque paysan fusillé, il fera passer un Prussien par les armes.

Les auditeurs se regardaient l’un l’autre, troublés et hésitants. Le petit marchand s’écria :

— Êtes-vous donc sourds ! Avez-vous moins de cœur que les autres ! On se bat partout ; nos laboureurs occupent les bois de Dôle, les gens de Brenelles gardent leurs taillis. Et vous auriez peur, vous ?

— Non, on n’a pas peur, repartit rudement un journalier aux mains calleuses ; mais il faudrait avoir un chef.

— On s’en passe, dans les embuscades. Le plus crâne va devant, et tout suit.

— Croyez vous qu’on ait des armes ? Dix fusils et de la poudre mouillée pour vingt-trois que nous sommes !

— Ah ! Et vous n’avez donc pas de faux, de haches, de