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pâles clartés du matin. De la pointe de son sabre court, l’homme fouilla les cendres : le foyer éteint resta sans flamme et sans chaleur. Il sortit alors, tout grelottant, rôda le long des bâtiments et ramassa quelques brindilles. Que le bois fût ou non mouillé, il n’en avait cure ; mal dégrisé, il avait froid et suivait son idée fixe. Or les camarades avaient brûlé tout ce qui s’était trouvé à leur portée : il traversa donc la cour afin de chercher plus loin. La veuve tout à coup aperçut cet être maudit qui d’un pas nonchalant venait directement à elle. Le ciel blanchissait. Rejetée dans l’ombre, elle ne pouvait craindre d’être vue. Mais lui, le gros fantassin à barbe rousse, au visage stupide et farouche ; lui, l’étranger, comme il se détachait dans le crépuscule ! Jacquette n’avait aperçu ces êtres là que de loin et pendant la nuit ; enfin elle en avait un sous les yeux, réel, à la distance de quelques pas. Aussi comme elle l’observait avidement ! Il lui paraissait extraordinaire, horrible. C’était peut-être celui-là qui avait tué son Jacques ! Mais sa fatigue et son abattement étaient tels qu’elle ne chercha pas à fuir et resta agenouillée à la même place, disant :

— S’il entre, qu’il me tue ! J’ai assez souffert.

Le Silésien s’approchait toujours. La femme comme fascinée, n’en pouvait détacher ses regards. Il touchait déjà le seuil, glanant çà et là des brindilles au bord des flaques d’eau, lorsque par hasard il leva la tête. Une branche du rosier rabattue par la pluie avait rudement frôlé sa coiffure. Il examina ses tiges longues et minces, le bois léger de ces ramées, sourit avec satisfaction, fit un pas de côté, se baissa légèrement et, saisissant le tronc d’une main sans prendre garde aux épines, brandit de l’autre main son sabre.

La veuve se redressa subitement, pâle, effarée.

— Oh ! murmura-t-elle les dents serrées ; l’arbre de Jacques ! Notre rosier de noces ! Que veut-il faire…

Le soldat frappa un premier coup ; mais l’arbuste, protégé par un renflement du mur, eut l’écorce déchirée sans être coupé. Le bras du maraudeur fut levé de nouveau.

Jaquette n’était plus lasse, n’avait plus peur ; elle avait oublié ses affres du grenier ; pour elle, les dormeurs de la grange n’existaient plus.

— Malheur ! un Prussien de Leipzig qui tue notre rosier !

Éperdue, affolée, elle se saisit de sa fourche et bondit jusqu’à la porte :

— Arrête ! n’y touche pas ; c’est sacré !

Le sabre de l’étranger s’était abattu pour la seconde fois : le pied du rosier était tranché. La cime gisait dans la cour. les branches traînaient dans la boue. Il était content, le soldat ; il avait du bois pour raviver son foyer. C’est alors qu’il perçut, avec une inexprimable surprise, le bruit d’une voix humaine près de lui, et qu’en se retournant il aperçut une femme au regard terrible qui surgissait, une fourche dans