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Premier péché

Ce qui se lit entre les lignes


« Cousin,


« Ce sera fête bientôt, à la maison ; nous marions Louise, et tout bourgeoisement, à l’ancienne façon, nous danserons le soir. Tu sais que ce sera une fête magnifique : tout le village y assistera. Ce sera bien un peu mêlé, mais tu connais papa ? le pauvre papa, il ne perd pas une chance de soigner sa popularité, et c’est lui qui a rédigé la liste d’invitations ! Aux prochaines élections, il rallie tous les votes du village, et ça augmente sa majorité !  !  ! C’est adorable, la politique, cousin, et jusqu’à maman qui s’en mêle, et de façon si drôle ! Songe que le bleu me va à ravir, et je rêvais d’un tulle azuré pour ce bal de noces ; je suis sûre que tu m’aurais trouvée délicieuse là-dedans… mais maman prétend que ce serait afficher des principes politiques… et elle me condamne à une robe blanche, avec des boucles rouges à profusion ! et le rouge m’enlaidit. Et, tout bas, à ton oreille, mon cousin, toute campagnarde que je suis, rien ne m’horripile comme d’être moins jolie… Je le dis à confesse, car maman trouve cela énorme, mais c’est drôle, monsieur le curé n’a jamais l’air bien scandalisé, et il me dit d’un ton bénin, « que la vanité est un vilain défaut, » et je recommence toutes les fois… Jamais je n’aurai le ferme propos, car enfin, si Dieu m’a donné des yeux — c’est toi qui m’as dit que mes yeux sont beaux — une bouche pas trop grande, et un nez, — le malheureux est retroussé… un peu — tout cela enfin, si Dieu me l’a fait passable, c’est pour me faire plaisir, là ! et ce serait de l’ingratitude de n’en être pas contente, et de la grosse hypocrisie d’en paraître fâchée…

N’empêche, cousin, que le rouge me défigure… et que ça, c’est bien triste !

C’est Louise qui sera jolie ! Tu sais qu’elle est ravissante, et si bonne ; on croyait à cause de sa sagesse à une vocation religieuse, et voilà la défunte nonne qui épouse…

Au fait, tu ne le connais pas, ton futur cousin. Il est grand, mince, très mince, avec une barbe noire et des yeux noirs, l’air très bon, et grave, comme trois notaires à la fois. Louise l’adore, tout simplement ; quand il parle, elle le regarde comme je regarde, moi, la statue de mon bon ange, — et mon beau-frère, le docteur Jean, ne