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Premier péché

m’aimez pas ?… Elle le regardait pour arracher de ses yeux, la réponse cherchée.

Il reprit les petites mains qui étaient froides et moites, maintenant.

— Vous divaguez, Valérie, venez au piano, et laissez-moi entendre mes morceaux favoris. Jouez-les-moi, tous, le voulez-vous, ma chère musicienne ?

Elle se laissa conduire comme une enfant qu’elle semblait être encore, cette frêle petite, si séduisante, si jolie… Mais la douleur qui venait à elle la ferait femme, demain…

La douce amoureuse joua avec tout son talent charmeur, elle dit, de sa voix idéale et fière, son amour, ses craintes, ses joies, ses espérance. Il l’écoutait, enivré du parfum des roses et de la grâce de cette autre rose, qui ne vivrait peut-être, elle aussi, qu’un jour… Silencieusement, les larmes vinrent.

Quand elle eut fini il était tard. Déjà l’heure des adieux était venue. Tous deux se regardaient, pris d’une angoisse inexprimable.

Au moment de se séparer, il s’agenouilla tout près de la jeune fille, et avec un regard priant :

— Valérie, quoi qu’il arrive, promettez-vous de ne m’en jamais vouloir ?

— Pierre, fit la pauvrette apeurée ; pourquoi parler ainsi ?

— Répondez-moi, chère, répondez-moi ?

D’une voix étouffée, elle articula :

— Je mourrai plutôt !

Ce fut tout. Dans le salon obscur, les roses pleurèrent toute la nuit de ce samedi.

***

À la messe, elle arriva en retard, ce dimanche-là, la jolie veilleuse d’hier ; elle avait sans doute trop rêvé. Le prêtre montait les marches de la chaire, et elle était encore à genoux, quand il prononça :

— Il y a promesse de mariage entre M. Pierre N. et Mlle  M. C.

Elle n’entendit que ces deux noms !

La pauvre ne s’effondra pas, elle resta là, priante, avec dans ses yeux purs une lueur vague, et pendant que ces noms lui entraient au cœur comme des épines que l’on enfonce et que l’on retire pour les enfoncer encore, elle murmurait, tout bas, tout bas, cette plainte :

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu !

Dans son âme, ce mot montait avec la prière ardente d’être délivrée. « Mon Dieu, secourez-moi ! Mon Dieu, épargnez-moi ! Mon Dieu, cela ne se peut pas !  !  ! »