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Premier Péché

— C’est parce qu’Yvette M. est ici, Mina est très fière, — et elle a raison !

Il sentit que ces mots se répétaient dans les mille chuchotements arrivant à son oreille, et une immense pitié inonda son cœur.

Si, elle, l’entendait, cette mauvaise phrase ?

Et d’un regard attendri, il la chercha à travers la foule joyeuse. Tous, il les connaissait ; elle seule lui était inconnue. Comme elle n’était à X, que depuis deux jours, il ne l’avait pas encore rencontrée.

Maurice distingua vite une blonde jeune fille, toute menue dans sa toilette de mousseline bleue. Du bout de son ombrelle, elle tourmentait le sable fin. S’approchant d’une dame qui riait, il dit :

— Présentez-moi s’il vous plaît à Mlle  M.

Le beau regard bleu qui se leva vers lui était embué de larmes. Le jeune homme en voulut à Mina de nuager les grands yeux timides, et une instinctive sympathie l’attira vers cette pâle enfant qui souffrait, même de ses rares joies…

Sur le beau fleuve, le yacht se berçait, la vague avait des amollissements, et sa douceur ouatée endormait d’illusions. La jolie figure d’Yvette M, n’avait pas perdu son ombre, et Maurice, qui la regardait souvent, s’attristait de cette tristesse. De tout le jour, il ne l’approcha, l’observant avidement ; sa grâce séduisante l’impressionnait, et de toute son énergie, il réagissait contre cette impression, évoquant dans le même cadre les yeux ardents de Mina.

Mais Mina avait perdu de son charme, en révélant sa sotte fierté…

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Le soleil se couchait au delà des montagnes : c’était un resplendissement. La nue avait des teintes opalines, mauves, vertes, roses et bleues ; à l’horizon la ligne bleue prenait des tons sombres. Cette irradiation recevait le baiser de hauts arbres, et cette caresse majestueuse mettait de l’attendrissement dans toute la nature. C’était trop beau !

Maurice s’appuya sur une voile repliée, s’abandonnant à une rêverie où la pensée n’était plus agissante.

Tout près de lui s’entendit un soupir : il le sentit baigné de larmes ; et, se retournant, les fins traits d’Yvette lui apparurent, idéalisés de toutes les teintes radieuses de l’horizon charmeur.

— C’est beau !

La même exclamation s’échappa de leurs âmes.

Et de sentir vibrer son admiration dans une autre admiration, Maurice éprouva une folle joie. Il s’assit là, tout près d’elle, et se mit à lui causer de la nature si bien comprise ; il lui confia ses aspirations, lui révéla ses goûts, lui esquissa son rêve de bonheur :