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Premier Péché

Ce jour-là, traversant la longue allée, Maxime examina tous les malades de ce regard que l’on donne aux choses vues souvent d’un œil indifférent, et que l’on veut mieux regarder une dernière fois. Il ne les revit plus.

***

Le lendemain Lucette retrouva sa belle mer bleue…

La Sœur raconta à Maxime la mort tranquille de la jeune exilée. Elle avait donné son dernier soupir à une petite croix de bois. « Je la lui ai laissée dans les doigts joints, » ajouta la bonne religieuse. Lui écoutait, tête basse, navré de ce départ pourtant prévu, mais il avait eu l’espoir de la garder jusqu’à l’été. Là-bas. Lucette serait morte, c’est vrai : mais les vagues de son fleuve auraient pleuré sur elle, et Maxime avait du chagrin de sa bonne action entravée fatalement.

Pauvre petite, soupira-t-il. La jeune Sœur le regardait sans rien trouver à dire.

— Ne pourrais-je la revoir ? questionna-t-il.

Les yeux naïfs de sa sainte interlocutrice se voilèrent :

— C’est que, fit-elle, embarrassée.

Mais lui, suppliant :

— Oui, n’est-ce pas ?…

— Le corps est à l’amphithéâtre, fit-elle doucement, d’une voix hésitante : la science le réclamait, appuya-t-elle de ce ton soumis de l’éternelle nécessité.

À l’amphithéâtre. Lucette, sa jolie payse ! Non, cela ne serait pas ! Il voyait déjà les scalpels entamer la pauvre petite chair, et il eut un sursaut. Furieusement, il fouillait ses poches. C’est qu’il n’était pas riche, — mais la dépouille de Lucette eut une tombe.

Par un matin brumeux, il la conduisit au cimetière. Seul, il accompagnait la créature abandonnée qui n’avait eu, elle aussi, qu’un ami. Le bruit du cercueil dans la fosse le fit tressaillir : il n’était plus là, parti pour la contrée lointaine, que Lucette lui rappelait, avec son idéale poésie sauvage. Et lorsque l’on jeta la terre, Maxime vit se dérober comme sous un voile, son évocation ; la petite morte gardait tout.

***

Au retour, des amis joyeux arrêtèrent Maxime R.

— Tu es des nôtres, ce soir ?

Une de ces parties de plaisir que le jeune mondain ne manquait jamais. Il refusa : pouvait-il danser sur la tombe de Lucette ? Et puis sa bourse était vide, Maxime l’avait vidée dans un linceul, et il éprouvait une sensation infinie, quelque chose de doux et d’ému : c’était le merci de la jolie Lucette.