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Premier péché

scruter les mystères. L’horizon était resté muet : mais dans la belle ligne bleue qui bornait la vue, ils crurent lire le présage heureux…

Thérèse, bercée dans cette magie d’amour, se laissait vivre, restée l’enfant timide, douce et aimante qui ne demandait, pour sourire, que d’être aimée… Savait-elle bien ce qu’est ce sentiment terrible et délicieux qui bouleverse les vies, et creuse même des tombes ? Soupçonnait-elle que, vers la fosse béante où s’ensevelissent tant de chères illusions, elle marchait à pas précipités ?

Comment se dévoila cet abîme, Thérèse ne le savait même pas.

L’autre se nommait Jacques. Elle se rappelait bien la première impression. On lui parlait longuement, et en termes flatteurs, d’un inconnu ; elle écoutait, secrètement intéressée, et ressentant ce je ne sais quoi de la sympathie qui naît.

Est-ce étrange ? lui arrivait-il de se demander, alors qu’elle redisait les mots de louange.

Étrange, non : le cœur n’a-t-il pas son intuition ?

Lorsqu’il vint à elle, la première fois, elle crut retrouver un vieil ami, et dans la main qui se tendait, sans s’en douter peut-être, la jeune fille avait mis quelque chose de son cœur.

Alors, elle s’abandonna complètement à ce plaisir de le voir, de lui parler, de l’entendre. Son âme se donnait, Thérèse le sentait bien : mais pas un instant elle ne se retint dans l’élan qui l’emportait. C’était du bonheur : le vrai, le pur, l’idéal ; de ce bien qui ne se profane pas, de ce trésor que garde la souffrance, pour en faire plus tard le bûcher purificateur. Les flammes ne l’effrayaient pas ; insensiblement, elle en était à désirer une douleur venue par lui, et qui plus intimement la lierait à cet amour, sans que le plus léger soupçon vînt effleurer l’esprit de Jacques. Et dans le regard bien franc, qui parfois se faisait caressant, s’il lut beaucoup de mutinerie, de malice et d’esprit, il ne vit jamais ce qui se dérobait au fond de la prunelle.

Parjure, elle l’était, mais inconsciemment. Était-ce sa faute, à elle, si l’amour la troublait ainsi ? S’il n’avait fallu que se détourner, pour retrouver la paix !… Mais, où ses pas se porteraient, elle traînerait avec elle le boulet rouge rivé à son cœur, boulet charmant qu’elle dérobait à tous les regards, lui demandant pardon dans le silence de sa solitude de le cacher aussi soigneusement : sa pudeur aurait été blessée d’un indiscret regard.

Oh ! aimer ; apprendre la science nouvelle, en épeler les mots, seule, bégayer les premières phrases, et, enfin, lire couramment… Il lui semblait que la terre lui appartenait, tant était immense cette joie jadis inconnue.