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Premier péché

pénètre à la suite de l’âme pieuse dans les sphères où les mortels connaissent l’immortalité. Comme il fait bon de croire à l’éternelle vie, à genoux, près d’un lit funèbre, et quelle consolation que ce rayon de bonheur entrevu sur des figures aimées ! Est-ce donc cela mourir ? S’endormir ici-bas, pour s’éveiller là-haut ! Elle est partie, alors que tout souriait autour d’elle, en pleine jeunesse, en plein amour, n’ayant pris à la vie que ses douceurs, et s’enfuyant par les horizons lumineux, pour s’imprégner de tous les parfums, peur admirer toutes les beautés, pour écouter toutes les harmonies dont s’est éprise cette âme d’artiste.

Partie !… Dites, est-ce que nous pouvons la pleurer, la gracieuse créature, faite pour le bonheur, et qui, ayant reçu de la vie tout ce que la vie peut donner, s’en est allée là-bas, où son âme goûte les plus pures délices ? Pleurer, parce qu’elle est heureuse ? Pauvres nous, dont l’humaine nature a des révoltes désespérées devant ces tombes prématurément ouvertes…

Je songeais, au pied de la dépouille toujours charmante, — coquetterie de la mort dont le souvenir veut planer plus doux, — éprouvant une tranquillité reposante dans l’atmosphère attiédie, où régnait le parfum des fleurs mourantes ; je songeais à la tristesse des vies, dont toutes les angoisses, les affres et les agonies nous courbent, heure par heure, vers le lit funèbre, où nous tombons, un jour, dans une suprême douleur…

— « C’est bien jeune pour mourir, » murmura près de moi une jeune fille qui, de ses yeux rougis, regardait la morte. Une parente, une amie.

J’inclinai la tête sans répondre. Trop jeune ? Son sommeil semble si doux !

***

Je me rappelle la première fois que je la rencontrai. Radieuse elle entrait dans la vie, au bras de l’aimé, et ses petits pieds effleuraient à peine la terre. Elle donnait bien l’impression de ces créatures exquises qui s’avancent en plein rêve, et dont le sourire possède une grâce touchante et mélancolique. Ses grands yeux pensifs vous enveloppaient le cœur, pour le prendre dans une caresse : « Aimez-moi, disaient-ils, aimez-moi bien, j’arrive, et je m’en vais ! » Et vite on jetait des roses sous ses pas, pour tapisser la route qu’elle parcourait dans sa hâte de vivre, avant de mourir.

Elle a vécu… et toujours elle vivra !