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Premier Péché

Morte-Vivante


Cela sentait bon dans le petit boudoir ; une vague odeur d’iris s’échappait de toutes ces joliesses jetées là dans un artistique fouillis. De mon nid douilleté de coussins, au fond d’une causeuse, je voyais tout, je donnais un regard à la table finement sculptée, j’admirais ces fauteuils drapés dans de riches soies. Les tentures à teintes légèrement rosées s’harmonisaient avec les décors délicats de ce coquet retiro. Il planait là une ombre discrète, voilant à peine toutes ces élégances pour leur donner un charme intime d’une pénétrante attraction. Un vrai nid à rêves, où ne voletaient que des papillons roses, butinant sur nos illusions le plus pur de notre enthousiasme jeune… et qui sait, peut-être un peu naïf. Mais le bonheur est fait souvent de naïvetés.

Et je rêvai, heureuse de ce luxe qui charmait toutes mes délicatesses de femme… sans penser que ce boudoir servant de cadre à une jolie mondaine, n’était guère fait pour le repos de celles à qui la lutte constante échoit en partage. Je secouai bravement l’engourdissement qui me gagnait dans la chaleur parfumée de ce charmant lieu, et j’attendis.

Une portière se souleva, et dans l’encadrement rose, une tête couronnée d’un flot d’or brun me sourit. C’était l’amie de pension retrouvée après de longues années d’absence, et pour laquelle la vie avait joyeusement dépensé toutes ses faveurs.

Elle vint vers moi la main tendue, une petite main de belle inactive, et l’abandonna dans la mienne dont l’étreinte était toute cordiale. Un air de lassitude extrême se lisait sur la jolie figure, les traits légèrement tirés révélaient de la fatigue morale. J’embrassai d’un coup d’œil toutes les fines merveilles, tentatrices d’une minute, pour leur dire que je ne les enviais plus.

— Se peut-il, pensai-je, bêtement, que l’on souffre ici ?… Et vrai, j’aurais ri d’un rire amer à la stupéfaction des gentils Amours qui se prélassaient ironiquement sur le marbre d’une console.

— Elle parla d’une voix languissante, avec des notes brisées, comme si l’harmonie était à jamais détruite en elle ; évoqua une à une nos pages de pensionnaires, jeta un éclat de rire, celui de jadis, en remémorant une espièglerie d’antan, s’informa des amies dispersées, eut un mot ému à l’adresse d’une bonne maîtresse, se rappela l’esprit endiablé d’une compagne. Elle s’animait en parlant, sa voix