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Premier Péché

« Cousin, que c’est laid, la fête, que c’est laid. »

Lui, effrayé du tumulte de cette âme enfantine, tentait doucement de la calmer.

— « Tu as mal entendu, ma petite, et tu verras bientôt que le monde est fort amusant. »

Jeannette se révolta, et contrariée, elle éclata en sanglots. Le cousin est heureux de cette explosion qui dégage la gorge oppressée.

Et en la consolant, il pense quelle influence aura sur la vie de Jeannette cette première impression. Elle s’est brouillée du premier coup, avec les fêtes ; il sent bien toute réconciliation impossible. Alors, il la voit grandir, sérieuse et sage, toute à son devoir, avec l’horreur des compromissions mondaines… Il écoute les accords joyeux qui descendent des fenêtres jusqu’au bocage et meurent avec la répétition moqueuse de l’écho.

C’est un peu de joie qui vient à lui, et il sourit à un rêve, pendant que sur son épaule, la petite tête est toute sanglotante.

Pleure, enfant, ces larmes sont le baptême qui te fait femme !

Le froid de la nuit et celui des sanglots enveloppent Jeannette et elle a un long frissonnement.

— « Viens, petite, ton lit blanc est prêt. Va dormir, chère, oublie tout, mais rappelle-toi toujours que ce n’est pas au bal que vit le vrai bonheur. »

Il la ramène doucement vers la maison, et, au bas du grand escalier, s’arrêtant, tout grave :

« Jeannette, promets-moi de me dire ton premier amour, tout comme j’ai reçu ton premier chagrin ? »

Dans un mouvement familier, elle lui envoie un baiser, avec un gros oui : promesse charmante !

***

« Te souviens-tu, chérie, de mon bal de douze ans, et de l’horreur qu’il me laissa pour les fêtes mondaines ? Je t’en ai bien dit tous les détails, dans nos longues confidences du pensionnat. Tu sais aussi, que jamais, je n’ai voulu aller au bal ; cela a même impatienté nombre d’amies, qui s’attendaient, probablement, à venir flirter chez moi, tout en me ridiculisant à l’abri de leurs éventails.

« On me croyait misanthrope ! Oh ! la, la, tu sais si je le suis. Je t’ai parlé longuement de cousin Maxime, celui-là même qui me consola le soir de ma première désillusion. Et puis, ne t’ai-je pas aussi confié, que depuis lors, je l’avais aimé. Peut-être pas d’amour, tout de suite, j’étais encore une enfant, mais cela vint bientôt. Je l’aimai de plus en plus, je n’étais heureuse qu’auprès de lui, sa voix était ma plus chère musique, et je