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Premier Péché

La vraie Fête


C’était fête, grande fête à la maison bleue. Les salons décorés d’une profusion de fleurs, embaumaient la jeunesse et l’été ; de la lumière partout, il en descendait des lustres somptueux, il en brillait parmi les plantes, en des points roses, bleus et verts ; il en rayonnait sur les éblouissantes toilettes, les blanches épaules et les scintillants bijoux. C’était un éblouissement : de toutes les lèvres, tombaient des sourires, le trésor en semblait inépuisable tant chacun en recueillait, et en livrait à son tour ; et les flatteuses paroles se perdaient dans les corolles des fleurs… Pauvres fleurs, elles étaient vite fanées, les illusions trompeuses profanent tôt la fragile grâce. Les roses s’effeuillaient sur les tapis, et les pétales s’attachaient aux petits souliers des jolies danseuses. Elles valsaient dans le trépas, les fines roses de juillet, sitôt mortes que nées.

La joie vivait partout, le piano l’harmonisait en des notes enlevantes, la danse la berçait dans tous ses pas vifs ou lents, rythmés avec un art délicieux, les jeunes fronts l’exultaient, le rire perlé l’envoyait à tous les échos… enfin c’était une fête mondaine qui secouait, dans la nuit, mille rêves qui agoniseraient à l’aurore, suivant de près, dans la tombe, leurs sœurs, les roses !

Une fillette de douze ans promenait sa petite robe blanche à travers les riches toilettes, et évoluait avec un talent remarquable, aussitôt que dans un proche horizon, elle voyait poindre une jupe héliotrope, fort admirée lorsque la maman s’en était parée, mais dont le voisinage, à cette heure, ne lui convenait plus du tout, tant elle savait la sentence qu’apporterait cette robe superbe : « Ma Jeannette, sois raisonnable, et gagne ton petit lit. Maman te récompensera, demain, si tu est bonne fille ! » C’était bien gentil toujours la récompense de maman, mais rien ne valait pour la mignonne le plaisir de cette fête : aussi déployait-elle un rare talent de stratégiste.

Elle parcourut tous les salons, elle entendit beaucoup d’aveux, elle surprit maintes railleries ; elle comprit même que l’on se moquait de la fête — une si belle fête ! Mais oui, l’on se moquait. Jeannette aurait, bien volontiers, trahi les vilains qui parlaient ainsi… mais prudente, elle préféra se taire, pour ne pas manquer la fin du spectacle. C’était la première représentation de la petite et vraiment la scène était variée et intéressante.