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Premier Péché

à notre élite sociale. Et c’est ainsi qu’elles se rendent aux cours de littérature, — pas pour s’instruire — du français, fi ! — est-ce que l’on peut encore aimer le français quand on sait l’anglais ?…

Ont-elles du cœur, de la fierté, de l’honneur patriotique, ces donzelles, qui sacrifient avec un sourire niais, les intérêts de leur nationalité ? Est-ce qu’elles soupçonnent la lâcheté de leur trahison, est-ce qu’elles comprennent qu’en reniant leur langue, elles dédaignent le plus bel apanage de leur race… Non, elles ne comprennent rien. Et, pourquoi ?

Je pardonne bien volontiers à une humble fille de ne pas parler correctement sa langue. Souvent elle s’est trouvée dans un milieu où on la parlait de façon incorrecte — et comment voulez-vous qu’elle sache ? C’est plus haut qu’il faut regarder, — plus haut, à la tête, c’est là que le mal réside, et il est terrible ce mal — et disons-le, les femmes en souffrent plus particulièrement. Il y a certes moins de patriotisme chez la Canadienne, que chez le Canadien. Un grand nombre d’elles ne savent même pas ce que résume ce mot : patriotisme ; elles le confondent avec celui : politique — et trouvent modestement que ce sont les affaires des hommes !… C’est à pleurer.

C’est dans la meilleure société canadienne-française que le microbe anglicisateur fait des ravages… et quels ravages ! Est-ce que l’on n’apprend pas à nos jeunes filles, dans nos maisons d’éducation, l’histoire canadienne ? Est-ce qu’on ne leur dit pas au prix de quels héroïsmes fut fondée cette petite colonie, ce que souffrirent nos premiers ancêtres — et plus tard, dans le siècle que nous venons de quitter, ne leur montre-t-on pas le flot rouge qui dans son jaillissement apportait une liberté au petit peuple français des bords du Saint-Laurent, le sacrant, dans ce baptême sanglant : nation canadienne. Ne leur dit-on plus rien ? On leur dit tout cela, mais demain, emportées dans un courant néfaste, elles oublient ce qu’une fille doit de respect à sa mère, ce qu’une Canadienne doit d’amour à la France !

Et vous trouvez ces ingrates enfants, dans les rangs de la haute société, ce sont ces demoiselles qui donnent le ton, ce sont les femmes de qui l’on attend l’exemple — et ce sont les mères de demain.