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Premier Péché

Impression Nocturne


Hélas ! que j’en ai vu mourir de jeunes filles !
C’est le destin. Il faut une proie au trépas.
Il faut que l’herbe tombe aux tranchants des faucilles.
Il faut que dans le bal, les folâtres quadrilles
Foulent des roses sous leurs pas !

(V. HUGO.)


Le fleuve avait ce soir-là, une mélancolie très douce, il chuchotait à peine ses troublants aveux, on aurait dit qu’il étouffait des sanglots ; car parfois les vagues frissonnaient, comme dans ces heures de désespoir où la douleur ébranle tout. Et une immense tristesse montait du cœur des eaux, jusqu’aux âmes, les prenant dans une caresse, de pleurs toute noyée.

Là-bas planait l’incertain, la nuit avait secoué ses mystères, la nature voilait ses charmes, et de pâles étoiles piquaient dans la sombreur, leurs joyaux scintillants.

Sur le pont du Saguenay régnait un silence à peine troublé de quelques chuchotements qui se confondaient avec la plainte des ondes surprises en plein sommeil, par le cauchemar de ce fantôme blanc qui se traçait une route triomphale. Et longtemps l’on écoutait leur murmure. Le fleuve gazouillait une berceuse, pour rendormir les jeunes rebelles.

Nous avions laissé le quai de la Malbaie où s’agitait une foule joyeuse, nous avions admiré les splendeurs du Manoir Richelieu mirant sa féerie lumineuse dans le fleuve où s’irradiaient ses milles flamboiements. Tout était redevenu calme, comme à l’approche d’une vague tristesse ; l’air nous apportait des soupirs, et nous sentions une oppression indéfinissable.

Nous accostions au quai de Saint-Irénée ; on lançait les amarres prestement saisies par d’habiles manœuvres ; notre bateau se balançait avec un léger mouvement. Montée sur le pont supérieur à côté du pilote, je regardais s’agiter sur terre, des hommes dont les costumes rustiques et un tant soit peu fantaisistes, le visage cuivré, les traits rudes de travailleur, à la lueur des falots se mouvant dans l’ombre, semblaient des ombres fantastiques errant dans la nuit.

Ceux-là, non plus, ne parlaient pas, comme dans la crainte de troubler le silence d’un pénible mystère… Soudain, sur le débar-