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L’Adieu du Poète

Jeanne

J’aimais à entendre ces accents si nouveaux !

Crémazie (attendri)

Vous êtes bonne : voilà pourquoi je vous ai parlé comme à une amie toujours connue. Je sentais votre sympathie m’envelopper de ses effluves, et c’était si étrange pour moi… Pardon, si je vous parle ainsi, jamais lèvres de femme ne m’ont souri, et de tendresse dans ma vie, — je n’ai eu que celle de ma mère… Ma mère !

Jeanne

Votre mère ! Parlez-moi d’elle…

Crémazie (la voix pleine de larmes)

Oui. Ma mère, une sainte et douce femme qui est la seule à m’aimer. L’amour de ma mère fut le sourire de ma vie triste, et jamais ne m’entra au cœur d’autre tendresse de femme. Là-bas, je vivais comme un ermite, ne sortant presque jamais de ma librairie : en arrière, dans un petit coin je me réfugiais pour étudier et écrire ; des amis venaient m’y rejoindre ; nous lisions nos essais littéraires… nous avons vécu là de belles heures !…

(Il s’abîme dans ses souvenirs)
Jeanne (suppliante)

Parlez-moi, je vous prie !

Crémazie (très triste)

Je n’ai pas aimé, et pourtant…

Jeanne

Pourtant ?

Crémazie

Pourtant, j’avais des trésors dans l’âme ; trésors inexplorés dont je n’ai senti la lourde richesse que depuis l’exil. Et vous avez voulu en prendre une part, Jeanne : Ma mère, vous et ma patrie !