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Premier péché

Erin Go Bragh

Aux miens.


Le piano chantait mélancoliquement dans le silence d’une nuit d’été, il laissait échapper les mélodies dont se berce l’âme, et soudain sa voix se fit plus attristée, plus tendre, plus touchante ; elle prit de ces accents de désespérance, qui brisent le cœur, comme les sanglots d’un enfant qui ne peut exhaler dans un pleur toute son amertume, et qui frémit sa douleur, ne pouvant la crier…

J’écoutais…

Chaque note m’allait à l’âme y éveillant une sensation nouvelle ; quelque chose de moi s’élançait, comme dans ces besoins de revoir… de se pénétrer… d’aimer… et j’écoutais toujours, pendant que tout mon être vibrait d’une inexprimée tendresse. Et la dernière note expirante… on me dit : Come back to Erin !

De ce soir, je compris que j’étais Irlandaise, de ce soir, je me mis à aimer avec passion, cette terre verte, qui se révéla à moi, dans une romance où chaque note pleurait… oh ! quelles larmes ! — il en passait des frissons tristes — et doux encore, tant cette terre de poésie, où sourit l’éternelle espérance, exhale de suave tristesse.

Du vert ! encore du vert, toujours du vert !

Ironie…

Comment ce symbole d’espoir germe-t-il partout sur cette terre où ne vit que le désespoir ? Comment, sous tant de sang versé, le trèfle irlandais n’a-t-il pas perdu sa teinte splendide, pour prendre celle pourpre — mais la fragile plante demeure ainsi, sans doute, pour mieux dire à ses fils : Espoir !

Le cri se répète de toutes les côtes de la Verte Erin, il monte de chaque brin d’herbe, il vient de chaque écho.

Et l’âme de tout un peuple a passé dans les yeux des femmes de là-bas : ces yeux-là, beaux entre tous, ces yeux-là eux aussi sont verts !

Voilà pourquoi l’espérance ne mourra jamais au cœur irlandais, puisqu’il la retrouve sans cesse, dans ce qu’il aime. Puis ce peuple de vaincus reste grand dans la défaite, et réclame toujours ; il a des fils, il a des filles ; et la délicieuse figure de Maud Gonne, cette fière patriote, passe dans mon regard attendri. Une revue offrait, un jour, son portrait, je découpai la page, et depuis la pho-