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Premier Péché

dans l’enchevêtrement épais sa minuscule personne. La chevelure brune s’accrochait aux aspérités du tronc rugueux pendant que du sommet de l’arbre tombaient, comme en une pluie de caresses, des épinglettes, des festons, des feuillettes, des atomes verts et bruns qui diapraient le front, les joues, les cheveux, le cou. À chaque effleurement de ces petites choses venues du ciel, l’enfant souriait comme à un baiser de la nature ; tous deux s’aimaient, s’étant compris à la première entrevue. La révélation de leurs âmes avait été complète ; le frisson du vent, l’épanouissement de la feuille, le rayonnement du fruit, la fillette aimait tout ; tout cela avait son langage, et ce langage elle le savait par cœur, ayant étudié dans ce livre immense ouvert devant elle : la nature.

Elle souriait au premier bourgeon, elle pleurait à la dernière feuille, et boudait tout l’hiver cette neige bien belle, pourtant, mais qui lui ravissait de plus grandes beautés. Aussi au printemps, lorsque son bois s’enguirlandait, elle rêvait d’avance à la saison des chants, en guettant dans l’espace le premier voltigement de la troupe aimée.

Les petites hirondelles bien jolies, les merles railleurs, les rossignols artistes, les serins ramageurs, elle les connaissait tous, mais son favori, c’était la fauvette. Elle aimait par-dessus tout le roucoulis gracieux de cet oisillon, elle adaptait des poèmes aux vocalises fines et tendres, elle sentait que la fauvette chantait pour lui souffler mille choses, pour rendre son sourire plus caressant et mettre une ombre d’ivresse douce dans la clarté de son regard.

Jolie fauvette avait niché son nid dans l’angle le plus coquet du beau poirier ; un jour que l’enfant s’arrêtait là pour mieux entendre les joyeux petits cris d’oiseaux, elle vit un mignon bec s’avancer et becqueter les fruits rouges ; lentement, et avec des ruses prudentes, elle se haussa jusqu’au nid. Maman fauvette y donnait à dîner, une dînette de baisers, car les becs se touchaient — baisers de vie. La mère fauvette était ravissante, et sa petite famille la regardait avec amour. Oh ! le bon petit dîner ! La petite en rêvait sa part…

Soudain les yeux bleus de l’enfant rencontrèrent ceux de la fauvette, et magnétisme de sympathie, l’oiseau sourit — je crois ? — Les oiseaux ont leur façon de sourire !

Depuis, la fillette revint chaque jour : craignant pour l’estomac des fauvettons la fatigue du régime poirier, elle secouait dans le nid de bien bonnes choses. Les petiots repus chantaient à leur bienfaitrice des refrains berceurs, ils gazouillaient dans ses cheveux, fleuretaient avec ses lèvres et s’endormaient dans les broderies blanches de sa robe.