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Premier péché

noir, marchait ; elle aussi regarda le jeune homme, et cela lui fit mal au cœur, tant était suppliante la prière de ces tristes yeux-là. Le docteur disait :

— « C’est une petite qui dans trois mois, ne vivra plus. Délicieuse créature qui s’en ira vite, née d’un père poitrinaire. Et pourtant, il y a tant de vie dans ce petit cœur assoiffé d’amour. Oh ! ces maladies qui sont mises dans les berceaux, et qui refusent aux êtres ayant droit à l’existence la joie de vivre. J’en ai le cœur malade de toutes ces morts-là, moi qui les compte tous les jours… Et je tremble de voir partir ce petit être que j’aime à cause de sa faiblesse injuste. Savez-vous, ajouta-t-il confidentiellement, le secret désir de cette petite âme ?… Celui des faibles comme des forts : elle veut aimer ! Qui donc lui donnera cet amour doux, discret, dont elle a soif ? Qui lui tendra la coupe pleine du liquide charmeur où elle pourra tremper les lèvres, ses pauvres petites lèvres altérées ?

Oh ! dans cette coupe-là un peu d’eau seulement, dans laquelle on laissera glisser quelques gouttes de parfum. Elle n’a jamais goûté et comme le petit être qui s’enivre d’une odeur, elle se grisera de cet illusoire nectar. Elle ne sait pas, elle, pauvre petite, et elle souffre. Qui donc lui donnera l’illusion de l’amour ? C’est tout ce qu’il faut à sa délicatesse, mais cela même ne se donne pas à une mourante ; ce tout petit peu, aumône du cœur, aiderait la mendiante d’amour à s’en aller heureuse…

Le vieux docteur n’essuyait pas les larmes qui se perdaient dans sa moustache grise.

Les deux hommes marchèrent, sans se plus rien dire. Ils s’en allaient, et Émile serrait la main du vieil ami.

— Celui-là que vous voulez, docteur, ce sera moi !

Le jeune homme en s’engageant ainsi, songeait bien à la vision du gros rocher, à la caresse des yeux qui l’avaient tantôt reconnu, mais plus encore, à la vieille dame en noir, qui l’avait regardé avec une si éloquente supplication.

Amour maternel, tes miracles ne se comptent plus ; tu appelles tous les dévouements, toutes les tendresses, tous les sacrifices.

Oh ! ces yeux priants de mère !

***

Tout l’été, le jeune homme joua l’amour sans jamais se laisser prendre à ce brûlant manège. Mais avec quel art, il rendit son rôle ! L’acteur le plus habile n’aurait pas fait mieux, car Émile mettait toute la pitié affectueuse de son être aux pieds de cette petite mourante qui, chaque jour, laissait un peu de sa vie. Mais