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Premier Péché

Dernière Berceuse


Une coquetterie avait, sans doute, créé ce nid bizarre, duveté comme celui des petites mères fauvettes, et le joli velours vert qui l’embellissait était de tendre mousse.

Le gros rocher qui servait d’écrin à cette émeraude jolie regardait l’immense fleuve, de son tranquille sourire. Il ne lui enviait rien, tout orgueilleux de porter en son cœur une charmeuse que le monstre humide ne toucherait jamais, et les jours où, dans des efforts désespérés, le superbe amant enlaçait le granit de sa puissante étreinte, voulant approcher sa bouche froide de la perle fine dont la beauté l’affolait, le granit, lui, riait… car il savait bien qu’il était le plus fort, et que jamais l’autre ne donnerait le baiser pour lequel depuis des siècles il entreprenait chaque jour sa lutte herculéenne. Et le vieux rocher portait mille déchirures à son flanc, mais restait vainqueur. Sa douce idole souriait là-haut dans toute sa grâce pure.

Une blancheur très douce se détachait sur le fond vert du coin merveilleux. On distinguait à peine une tête blonde, une de ces pauvres petites têtes qui veulent s’appuyer quelque part, dans une constante lassitude, pendant que les yeux se ferment pour revoir la vision cherchée par de pauvres âmes avides de soleil, de fraîcheur, d’idéal ; et rien ne venant à elles, sur la terre, elles s’en vont au paradis des rêves, dans une extase où les douceurs mystiques les pénètrent de leurs enveloppants effluves.

Vous auriez dit une fillette, à la voir là, perdue dans la verdure du nid, tant elle était petite dans sa mousseline blanche ; et si le nœud bleu qui se nichait près du cou mignon donnait un peu de ton à la blancheur mate du teint, on voyait le sang courir faiblement à travers la transparence de sa peau trop fine.

C’était si gracieux, si calme, si reposant, cette fleur blanche jetée sur ce feuillage, qu’il en venait à l’âme une évocation de madone dans sa châsse précieuse, et l’on était tenté de se mettre à genoux, non pour prier, mais pour sentir descendre sur soi quelques rayons de cet idéal si chaste. Le fleuve avait des accents berceurs dont la mélodie montait caressante, puis devenait attendrie,