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Premier Péché

toute cette poésie douce, n’avais-je pas eu ma part ? Je m’en saturais, ce jour-là, demandant sa grâce à toute la beauté qui me souriait. Après une visite au vieux collège je m’en allai par les bosquets fleurant le parfum des fougères, des trèfles, des petites fleurs à nuances diverses ; tout cela montait dans l’enchantement d’un beau jour d’été en la plus délicieuse griserie.

Après avoir traversé de longs jardins, nous arrivons à une enceinte toute rustique, où sur un piédestal, la Vierge sourit ; les branches des grands arbres s’inclinent jusqu’à ses pieds, et dans cet enlacement vert, le suave profil de la belle sainte se dégage doucement pur.

Des bancs sont là, nous nous y plaçons, et inconsciemment, dans l’harmonie souriante de ce beau jour, nous murmurons : Belle Madone, un peu de bonheur, s’il vous plaît !

Mendiants de joie, nous tendons le cœur pour que la Vierge y laisse tomber l’obole miraculeuse. Et tous, autour de moi, rêveurs, semblent murmurer la même prière, tant nous vient ardent ce désir d’être heureux. Intérieurement, je nommai l’autel de la Madone, sanctuaire de la joie, car toutes les âmes doivent se trouver bien dans le nid isolé où sourit cette idéale figure de femme.

Plus loin, c’est le mont que l’on gravit lentement, en s’arrêtant pour écouter des chants d’oiseaux, pour décrocher des courants, pour cueillir de petits fruits, pour caresser de pâles fleurettes, et pour regarder, à ses pieds, dans une irradiation splendide, la toute mignonne Sainte-Anne qui paresseusement se repose.

De grosses roches moussues invitent au délassement ; çà et là, des couples jeunes et vieux sont perdus dans des niches de verdure : tous écoutent la chanson imperceptible des mille petits bruits. C’est plus doux que la voix des oiseaux, que le souffle d’un enfant, qu’un aveu d’amour… Et partout, à travers les hauts arbres, une ombre se profile, — toujours la même, — qui vient hanter les bois aimés, pour y souhaiter bienvenue à l’enfant qui, après tant d’années, foule le sol où le père a laissé de son âme, afin de recueillir toutes les parcelles de joie perdue. Voilà que le cher disparu veut fêter ce beau jour, et pour que le cœur de sa fille vive un peu de sa vie passée, doucement il jette sous ses pas mille grâces ; il demande aux grands bois de se faire plus séduisants, au joli vent de rendre son souffle plus caressant, aux fleurs de sourire plus tendrement, et tout bas, tout bas, au cœur même de son enfant il demande : Que veux-tu encore ? Et de la caresse d’autrefois, fermant ses yeux, il la transporte dans un nid tout capitonné d’amour et de tendresse, où longtemps il la laisse heureuse, voulant qu’elle retrouve ainsi tout ce qu’autrefois il a oublié d’enchantements dans ce coin perdu.