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Premier péché

Vers le Passé


Dans un ensoleillement merveilleux, la jolie petite place[1] riait, égayée par son beau midi. C’était dimanche, et les fidèles sortaient de la grande église ; les femmes dans leurs toilettes, humbles, mais fraîches, avec, dans les yeux, cette lueur attendrie qui reste des heures mystiques, allaient les unes vers les autres avec un bon sourire, pour causer de tant de petites choses. Les hommes distribuaient des poignées de main, s’apostrophaient avec des mots joyeux entrecoupés de bons rires contents, puis on les voyait courir vers la voiture, caresser la bonne bête, la détacher ; enfin ils appelaient les femmes qui riaient là-bas ; ils plaçaient les enfants ; il y en avait six, sept, plus, mais jamais moins de quatre. Une à une, les voitures s’en allaient, les exclamations se croisaient, les derniers bonjours se faisaient avec des invitations. Il n’y avait plus personne et je regardais encore, charmée par ce tableau où la couleur locale m’était apparue délicieusement neuve.

J’allais, un peu au hasard, inconnue dans ce village où je descendais pour la première fois, attirée là par un subit besoin de regarder les lieux où un être cher avait grandi.

C’est vers la partie la plus séduisante de cet endroit charmeur que je me dirigeai ; le Séminaire là-haut planait, et je gravis son cap. C’est que j’étais venue voir le vieil édifice gris, c’est que j’étais venue demander à ses vieilles pierres un peu des premières pensées, des chères illusions, des rêves ébauchés par un être aimé entre tous ; j’étais venue voir les lieux où mon père avait vécu son enfance et son adolescence. C’était un pèlerinage que je faisais là, à pas lents, prise par une émotion douce, demandant aux sentiers, aux murailles, aux arbres, aux fleurs, un peu de lui : car n’avait-il pas laissé de son âme, à toutes ces choses chères, après avoir reçu d’elles les impressions premières !

Je sentais que là il avait été heureux, il avait ri, chanté, joué ; plus tard, dans cette nature enchanteresse, n’avait-il pas puisé cet amour du beau, du grand, de l’idéal, dont le vif désir se lisait, combien ardent toujours, dans l’œil bleu du vieil homme ? J’avais lu cela, et combien je comprenais l’influence qu’exerce sur toute la vie le charme d’une nature aussi complètement séduisante. Et de

  1. Sainte-Anne de la Pocatière.