Page:Gleason - Premier péché, 1902.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
110
Premier Péché

bord du précipice, lui demander de rendre ce bien ?

On réclame en vain : rien ne remonte à la surface de la fesse qui garde tout dans son silence amer…

50 ans ! Cela bruit dans ses oreilles avec la fatale lenteur d’un balancier, et son cœur en marque l’horrible tic-tac. 50 ! Une, deux, trois, et cela va toujours, pendant que des contractions impuissantes marquent, ainsi que le pendule, une espérance déçue. 50 ans.

Il songe à son dernier rêve : une gracieuse enfant dont le regard avait des rayons enchanteurs, et le sourire une grâce pure. Tout était fin dans cette jeunesse radieuse. Il alla à elle, en revint, y retourna, se vit aimé, aima, et un jour, un nouveau caprice l’attira. Lorsqu’il voulut reprendre le rêve, la vision féeriquement belle s’était évanouie. Il y a des âmes qui se referment à la première blessure et c’est dans un séjour inaccessible que les yeux enazurés regardaient le ciel. Oui, pauvre petite, en deuil de son premier chagrin et qui pleurera toute sa vie d’avoir cru à un autre amour qu’à l’amour divin !

Voyez-vous le coupable évoquer, ce soir, son frais rêve printanier ? Laissez, ne troublez pas l’explosion d’une âme fatiguée.

50 ans ! Mais c’est terrible ça, et il croit à peine à cette vieillesse, lui qui a dans le cœur toute une vie manquée. Il espère encore : quoi ? Le sait-il ? Non ; mais il s’accroche à ce dernier espoir avec la désespérance du misérable que le flot submerge, et qui entrevoit une épave. Sauvé ! Est-ce que l’on peut être sauvé ? Est-ce qu’il est trop tard ?  ?

Trop tard ?

Il songe à reprendre le rêve d’antan, à le reprendre dans toute sa fraîcheur, et le voilà qui pense aux yeux bleus qui lui avaient mis de l’azur dans l’âme ? Non, ces yeux-là ont trop vieilli, et peut-être les larmes ont-elles emporté toute leur grâce.

Les larmes, c’est pour lui qu’elles sont tombées… Mais s’en souvient-il, repris par une vision heureuse, où rien de ce qui n’est pas lui ne compte ? La femme s’oubliera jusqu’à l’héroïsme : telle l’enfant du passé qui, à cette heure où il subit son agonie d’âme, prie pour son bonheur, tandis que lui, l’ingrat, voile sa pure image, pour placer dans le cadre ancien une vision neuve, entrevue fraîche et rieuse dans la grâce de ses vingt ans… Toutes les aspirations passées lui remontent au cœur, et ce flot tumultueux, qui l’oppresse, le rend fou de bonheur. Il est jeune encore, il sera aimé… Eh ! non, il n’est pas trop tard…

50 ans !…

Il est là, lui, à rêver encore à son foyer vide. Sa pensée le peuple de chères évocations : une voix de femme y fait entendre son harmonie, et le gazouillis de tout petits oiseaux chante aussi,