Page:Gleason - Premier péché, 1902.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
Premier péché

La petite lettre embaumait la senteur des prairies, la mignonne cousine l’avait écrite, sans doute, parmi les fleurs champêtres, et chaque feuillet avait dormi sur une touffe d’herbes odorantes. La chambre du cousin en était toute parfumée ; c’était une floraison de jeunesse éclose dans ces lignes, et que le pauvre aspirait avec délices.

— Pourquoi ?

Oui, pourquoi ? Comment pouvait-on lui demander pourquoi il vivait seul, sans foyer, sans femme ? Était-ce sa faute à lui si, au sortir de l’adolescence, il s’était trouvé le père d’une famille orpheline d’hier ? Pouvait-il se dérober au lourd devoir qu’une tombe lui léguait ? Frères et sœurs avaient vécu de lui ; et la maman, la chère maman ! celle-là était morte, avec un dernier merci, car elle avait compris tout l’héroïsme de son enfant, mais, elle seule !

Les autres oubliaient, étaient heureux, et lui vivait seul maintenant, désorienté ; ayant donné toute sa joie aux autres, il n’en trouvait plus un rayon dans son isolement. Et ceux-là pour lesquels, avec une générosité si grande, il avait renoncé à tout rêve, ceux-là pensaient rarement à lui… mais quand le budget du petit ménage ne balançait pas, lui, toujours lui, comblait le déficit. On acceptait tout comme chose due, n’y attachant même pas un petit mérite. Il était le banquier ; et un jour, n’avait-il pas en tendu qu’on le taxait d’égoïsme parce que sa bourse était vide…

Égoïsme !

Ce seul mot-là lui revenait avec la rancœur de ses rêves mutilés. Égoïste ! Lui qui avait sacrifié tout : sa jeunesse, ses rêves, son foyer ? Lui, qui avait laissé, sans une révolte, s’approcher le spectre de la vieillesse, ne voulant pas se soustraire à des obligations sacrées ?… Alors que, comme tout autre, il avait le cœur plein d’amour, et la mémoire remplie du rayonnement des yeux bruns, de la mélancolie des yeux bleus, du chatoiement des chevelures d’or, de l’éblouissement des tresses d’ébène… il s’était interdit d’aimer !

Égoïste !  !

Allons donc, ne s’était-il pas sauvé de la blonde enfant qui, un soir, lui souriait ? Et pourtant, en combien d’adorations muettes il s’était absorbé devant la chère image, encadrée au meilleur de son âme, dans le coin fleuri de ses illusions, roses tendres que le souffle du réel n’avait jamais ternies.

Et ce soir-là, il retrouvait son apparition douce et jolie… et le cœur lui faisait mal des regrets non éteints.

Il aurait été si heureux ! Un foyer bien chaud, un nid tout capitonné de tendresse, une femme gracieuse et bonne, des enfants