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par un bouton électrique. Alors que préparée à la mélancolie je m’asseyais au bord de la mer, la tirant doucement à moi d’un mouvement qui devait là-bas découvrir un tout petit peu le Pérou, doubler le Chili, face au soleil couchant, attendant toutes ces fausses couleurs du soir qui dans Bellac donnent à l’âme ses vrais reflets, attendant que la lagune devînt violette, les champs de nacre orange, les arbres pourpre, le ciel vermillon, à peine le soleil commençait-il à rougir qu’une main le lâchait et que tout n’était plus que nuit. Une nuit toujours éclatante, laiteuse, qui passait sur le monde sa couche de nacre, et qui soudain, au bout de douze heures, me donnait à un jour aussitôt pompeux et rutilant. J’étais déversée sans arrêt de cette conque d’argent à cette conque d’or. Toute la nuit tombait sur le premier appel de la mélancolie. Tout le jour se levait sur la première angoisse. Ce monde en laque et en obsidienne n’acceptait pas plus le chagrin que la pluie. Donc bientôt ma tristesse, je l’oubliai et la laissai en moi s’arranger toute seule comme une tumeur.

Mais il est temps que je vous décrive mon île…