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plus grand des poètes de France et de la plus belle romantique d’Europe, et il me traitait comme telle. Il tenait les yeux fermés, car le feu d’artifice maintenant l’excédait. Moi, je voyais des soleils tournant de gauche à droite, des lunes tournant de droite à gauche, Henri IV à cheval comme un fer à repasser sur la Seine toute lisse. Il me parlait, d’une lumière aussi lointaine que celle d’où les vieillards parlent à un enfant ; après un silence, disant du bien de Bertrand de Born, le troubadour limousin, l’approuvant après tout de n’avoir fait dans toute son œuvre qu’une métaphore ; après un autre, disant tout ce qui se peut dire d’affectueux, de sensible et d’équitable sur le kaolin et la pâte mi-tendre ; après un autre, la vérité éternelle sur les saumons, les châtaignes, et j’étais vaguement heureuse et béate, agitée mollement dans mon pays comme dans un berceau.

Des brûlots suivaient maintenant la Seine ; Paris était attaqué par un faux incendie, couvert d’une vraie fumée, et les ombres de ses monuments se consumaient une par une. Le petit Sarignon m’avait pris le bras et me disait, je ne sais pourquoi, tout ce par quoi l’on console les rois qui abdiquent (excepté les rois de France), que Paris seul est beau, — Paris et Versailles, — Paris, Versailles et Marly ; il ne pouvait plus