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bien la côte sur laquelle viennent s’achever les rivières de mon pays, et je frémis à leur estuaire comme un jeune saumon. Ce que j’aspire auprès de ce champ à lièvres, c’est bien la brume légère qui attire les braconniers et ce clair-obscur qui attire les gendarmes. Ce que j’entends, c’est bien, comme à nos fermes, les animaux veilleurs échanger une minute leurs cris, le chien hululer, la chouette aboyer. Voilà que je t’arrive sans valise, ô France, mais avec un corps préparé pour toi, avec la soif et la faim, un corps à jeun pour ton vin et ton omelette, — et voici le soleil qui se lève ! Je te reconnais, France, à la grosseur des guêpes, des mûres, des hannetons et, bonheur d’être hors de ce rêve qui me donnait pouvoir sur les oiseaux, les oiseaux me fuient ! Un geste vers le rossignol, ô bonheur, et il fuit ! Des chariots grincent. Pour la première fois depuis six ans je suis remise en jeu comme les autres créatures à chaque aurore par la gravitation, la pesanteur, le travail. Une batteuse bat. Pour la première fois, je ne me sens pas le seul humain inutile de l’univers, et sur lequel, chère pierre ponce, un autre humain n’aiguise pas sa vie. Un train siffle. Quelle joie de n’être pas seule en France ! Je me hasarde à la regarder par-dessus la dune. C’est bien elle. Voici la vache, qui rend inutile l’arbre-