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calme comme celui qui a renoncé à une colère, j’étais assise face à mon île. Peu à peu elle s’arrondit ; pour la première fois je la vis d’un peu plus loin, de loin, de l’horizon. Elle étincelait, elle n’était plus que rubis et topaze, tous ces rayons dans lesquels j’avais été prise six ans ne m’atteignaient plus que par leur sommet, ma tête seule était encore illuminée par eux ; un mille encore, et je reprenais ma lumière terne d’Européenne, sous la vraie poudre de riz que m’avait prêtée Hawkins. Mais surtout mon île semblait habitée. Dans les frondaisons, dans les formes des collines, il y avait, par moi seule apportée, cette harmonie que quarante millions de Français ont juste achevé d’imposer à leurs montagnes et forêts. Mon île était usée juste comme la France, au-dessus d’elle, c’était par ces vols réguliers et nombreux qui aboutissaient à un être humain comme la queue à sa comète, que volaient les oiseaux, plus épars au-dessus des autres îles que les poussières dans une eau Saint-Galmier. Parfois un arbre que j’avais toujours cru confondu avec les autres m’apparaissait tout seul et me faisait un adieu isolé. Les places que je croyais mes cachettes les plus sûres apparurent aussi pour la plupart : c’est quand je pleurais ou je priais que j’avais été le plus visible. Puis la seconde île