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l’Est, c’était de l’île Meyer, où on les mange farcies, et, du Nord, de Samua Bay où les Papous coupent les têtes. Je tins mon bras tout droit hors de l’eau pour voir d’où était venu ce vent qui allait me rendre esclave ou reine. Il ne soufflait pas, les fumées étaient toutes droites, mon visiteur venait du centre de la terre. Mon visiteur, l’idée m’en vint soudain, était venu dans un yacht à vapeur. Mais c’est la maladresse des Européens qui alors m’épouvanta : ils étaient capables de croire, au renflement de l’eau, que c’était un requin et de tirer. J’essayais en vain, car ils étaient capables aussi de tirer sur lui à mitraille, de chasser le nuage de perroquets qui volait juste au-dessus de moi, parlant ma langue et décelant ma présence. Soudain, comme un ballon d’enfant que j’aurais lâché, ce nuage s’éleva… L’étranger avait dû faire un geste. Puis, dans la seconde île, je vis deux gerbes de paradisiers rouges monter, puis des roses, des violets ; quelqu’un attisait ce beau feu, l’étranger avait dû tirer ; mais j’étais déjà près des brisants, et l’oreille droite dans la mer comme un coquillage, je n’avais pu entendre qu’elle. Enfin, je fus dans la lagune, et j’entendis un bêlement, puis un jappement ; l’étranger avait dû prendre mon cerf par la corne, mon singe par la queue. Les poissons de cette eau tranquille