Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

thorynque. Ainsi je n’ai qu’à surveiller certaines ombres, certains miroitements comme des compteurs de taxi, et pour savoir si le vent, ou la mousson, ou la tempête sont vers moi en route, il me suffit de jeter les yeux sur une feuille de palmier, qu’un ignorant n’eût pas distinguée des autres, mais qui est mon manomètre et qui tremblote toute seule, une heure avant le moindre souffle. Je la consulte sans relâche, déçue quand elle reste trop de jours immobile… Soudain elle frissonne… De la mer où je me baigne je me hisse alors sur la plate-forme du promontoire ; ce que je faisais petite fille avec mon doigt mouillé pour savoir d’où venait le vent, j’y emploie là-haut mon corps entier. Il arrive par rafales, attaquant selon l’époque mon côté caressant ou mon côté implacable, déposant brutalement sur moi la première, sur moi stérile, les plus avides de ces parfums et de ces graines invisibles qui eussent fructifié si j’avais été terreau et non pas chair : vent protestant, collant sur moi soudain une feuille entière, de forme inconnue : il arrive tendrement, me léchant par ondes, d’en haut parfois, comme par une fenêtre d’atelier ouverte, d’en bas, comme d’une bouche de chaleur dans un musée. Puis, l’oiseau qui annonce la fin du vent pousse son cri-cri presque imperceptible au milieu des ramages,