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mon vocabulaire l’autre jour avec le dictionnaire des îles voisines, trouvé dans la grotte. Sur un objet, un seul, mais sur le plus précieux du Pacifique, sur le mot soleil, je me suis rencontrée avec leur vraie langue. J’en suis toute fière. Car heureux qui devine le mot esquimau qui veut dire Glace, le mot anglais qui veut dire Marmelade, le mot français qui veut dire Honneur…

Ma lutte contre la solitude ? Parfois je la combats en nageant jusqu’à l’île des dieux, en serrant leurs minuscules mains, en caressant leurs immenses lèvres, en me tenant immobile aux places ou l’un d’eux manque, en tenant l’intérim d’un dieu. Parfois, en plantant l’île de mannequins qui ne font jamais peur aux oiseaux d’ailleurs, leurs oripeaux étant de plumes. Parfois en me servant de mon ombre ; tous les gestes d’amies qu’elle peut figurer, toutes les poses d’illustres statues, tous les profils, seul pauvre cinéma qui me donne un spectacle d’Europe, je les essaye sur le sable par le soleil ou sur la nacre par la lune, une écorce de banane sur le nez pour avoir l’ombre de la Montespan. Je m’amuse aussi à être successivement deux femmes. Aujourd’hui une personne qui prend à rebours les forêts, trouble les sources, casse des œufs ; demain, une autre qui