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signale aux automobiles. Je suis visible là tous les jours, de deux heures au moins à six. Je dois même assurer que jamais être humain dans le monde n’a été plus visible ; sur deux trépieds à mes côtés brûlent des pommes de pin, pour faire deux fumées ; du palmier de gauche au palmier de droite est tendu derrière moi un rideau de plumes rouges, haut de trois mètres ; le pavé est de corail noir, et ne devinez-vous pas aussi, rien qu’à ces quelques lignes, — vous en avez l’impression, comme vous l’avez parfois en téléphonant à une amie qui ne l’avoue pas elle non plus, mais qui marivaude elle aussi, — que je vous écris nue ? J’ai sur mes genoux une feuille quadrillée, et je sens au travers la plume courir, me creusant aux points et aux virgules d’une si agréable piqûre que je vais multiplier les phrases courtes… Le ciel… La mer… Le ciel est tout étincelant ou tout rouge, c’est toujours ici la fin d’un grand incendie ; les papillons noirs voltigent en tout point faible de l’espace comme du papier brûlé, la mer sur les récifs fait la chaudière qui refroidit ; les palmes claquent comme des pincettes. Le monde a brûlé et j’en suis, tiède, le pauvre résidu.

« Ici tout est luxe, Simon. De longs oiseaux à queue vermillonne remontent les gouffres de lumières par bonds, comme les saumons les cas-