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de mes perroquets se confondaient déjà avec les perroquets de l’épave. Je me penchai, je rejetai les oiseaux qui la couvraient, avec mes mains, comme une couverture. Je vis une épaule, aussitôt cachée par de nouveaux plumages. Une minute je me battis contre cette enveloppe qui, crevant par places, me laissa apercevoir un genou, puis une main, puis une surface lisse, comme s’il y avait au-dessous un sol humain ; puis, j’avais dû toucher l’oiseau-agrafe de cette robe, ils s’envolèrent tous à la fois, et, ce vêtement évanoui, je vis un homme.

Un homme qui m’arrivait nu, comme aux femmes d’Europe un enfant. Le haut de son corps était à sec sur le sable, mais l’eau montait à sa ceinture et par pudeur, en mourant, il avait pu relever jusque-là la mer. Il avait les bras écartés, il semblait cloué par punition sur mon île, l’Océanie voulait faire un exemple. Sur ce corps d’homme, le premier que je voyais, du premier coup d’œil j’étais stupéfaite de déchiffrer sa vie et ses moindres manies ! Avais-je donc une telle science des hommes ? l’index de la main droite était jaune, c’est qu’il fumait ; les talons usés et éculés comme des talons de souliers, c’est qu’il était autoritaire ; la bouche ouverte sur le côté, il devait s’amuser à cracher loin ; la lèvre