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sitôt vers eux, de me donner au kouroshivo comme on se donne au train omnibus par dépit d’attendre le rapide. — Était-ce un signal ? Tout un navire tirait-il pour me demander conseil ? Étais-je le seul recours de cent marins, de cent détresses… Soudain je vis deux lueurs, et j’attendis, en comptant avec plus d’angoisse que dans l’attente de deux obus ; — et les deux coups m’arrivèrent !

Puis ce fut quatre, ce fut six, puis un silence. Puis vingt, trente : les lueurs des deux coups nouveaux s’appliquaient juste sur les deux coups derniers, et j’entendais, et je voyais, avec la même vitesse. Puis cinquante, puis cent ; on essayait sur le ciel toute la boîte d’allumettes… puis un silence. Parfois un coup unique dont je n’avais pas vu la lueur, bien que mes yeux n’eussent pas quitté l’horizon. Toute l’île maintenant était éveillée. Il faisait clair de lune, tous les oiseaux volaient, les oiseaux de jour en longues bandes heurtaient les oiseaux de nuit stupéfaits ; leurs couleurs que je voyais toujours isolées et à la même altitude, confondues et déséquilibrées ; les oiseaux aquatiques planant dans le ciel, les oiseaux-mouches se posant, pour la première fois le corbeau orange descendant jusqu’à moi. Jamais kaléidoscope ne fut mieux secoué que mon île