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si je me redonnais à la cocaïne ou aux rêves l’un d’eux mourait. J’arrivai, pour les maintenir constamment à la vie, à plus de perfection qu’une vestale ; pour les sauver de dents ou de bras cassés, à un vrai souci de moi-même. Si je laissais mes genoux se durcir au lieu de les huiler, si je ne ponçais mes talons à la minute, Claudel était mort depuis longtemps. Si je ne séparais ce kakatoès et ce faisan en querelle, Mallarmé mourait. Je levais les bras, j’effrayais les combattants ; le kakatoès noir se perchait, suivant de branche en branche le faisan qui serpentait comme sa projection dorée, mais la mort de Mallarmé s’était du moins élevée de trois mètres. Parfois c’est leur famille qui était en jeu, et, cruelle, je permis une fois que la sœur de Rimbaud tombât d’une échelle, une fois que se noyât l’amie de Mallarmé.

C’est le soir surtout, en m’endormant, au-dessous des étoiles si proches et si allumées qu’il me semblait parfois en sentir passer une juste au-dessus de ma paupière comme une lampe de poche, que je m’acharnais contre ces purs esprits. C’était l’heure où je suivais le hurlement complet de la houle autour de l’île, de la mousson autour des cocotiers et où cette solitude dans l’espace me donnait, même à mes propres yeux, plus de