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oiseaux invisibles ; ces étoiles, les plus proches du globe : celle-là, juste au-dessus, la plus proche ; le crissement de la mer contre les coraux le plus aigu après celui des scies ; il n’y avait plus entre moi et le néant des forces que cette dernière apparence exaspérée ; les couleurs les plus sombres de la nature, l’ocre, le noir, étaient elles-mêmes à leur octave la plus haute. Pas d’animaux à voix grave (je n’allais que tous les quinze ou vingt jours dans l’île des singes, n’ayant pas de protection contre leurs attaques) ; uniquement les cris suraigus des oiseaux, le bruit métallique de leur vol ; — à part, le soir, cinq ou dix minutes, seules petites bouches d’orgue reliées à l’Europe, mais, qui ne donnaient que quelques paroles mesurées comme par un câble, les grenouilles-taureaux. C’était l’époque aussi où les costumes de plumes ne me distrayaient plus, où j’avais renoncé à tout vêtement, où il m’était donné de voir sur mon corps, dernières contractions de ma vie française, ces mouvements que nous ignorons là-bas, perdus qu’ils sont sous nos robes et nos blouses, et je n’avais même pas pour moi la considération qu’un sauvage a du moins pour sa propre impassibilité. Ma poitrine, mes épaules s’écartaient dès que je me sentais franche et loyale. Je relevais la tête, je me redressais à l’approche d’un animal, malgré