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pour eux stérile, agacée, au sortir d’un monde malléable et généreux, de la résistance de ces arbres, qu’on ne pouvait traverser, de ces vagues liquides et non solides, de ce soleil éternel, l’éphémère… Égoïste, je maigrissais… Envieuse, je ne mangeais plus… Menteuse à moi-même, j’avais des névralgies. Si bien que je décidai de me guérir… Un soir au lieu d’aller me loger, dès la première ombre, sous cet arbre, en cette empreinte dans la mousse qui me recevait maintenant comme une boîte-écrin sa louche, j’attendis la nuit, je m’égarai en elle, je l’aspirai à grands traits, j’en lavai mes yeux, j’en fis tout ce que l’on fait des collyres et des contrepoisons ; tous ces personnages, toutes ces émotions de mes rêves si habitués à m’assaillir dès cette heure qu’ils pénétraient aujourd’hui à vif dans mon âme la prenant pour mon sommeil, je les chassai tant bien que mal ; puis, à la plus grande distance connue d’un arbre dans l’île, je m’étendis sur le dos, les pieds joints, les mains croisées, et je me donnai à un sommeil sans rêve…

Ce fut une passe pénible. Jamais je n’eus une âme plus veule, aussi fanée, jamais une vie physique plus aiguë. Cette lumière autour de moi était juste la plus vibrante avant les rayons ultraviolets ; ces oiseaux, les plus beaux avant les