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de nos modèles pour vices et qualités. Les étoffes, par contre, étaient malheureusement commandées à M. Renon, de Boussac… Ainsi les oisifs et les rentiers d’Europe étaient plus isolés que moi ! Je voulais bien le croire. Mais du moins tous là-bas m’avaient semblé heureux. Peut-être est-ce que tous fumaient, et je pensai donc à fumer : j’essayai les roseaux, les herbes sèches. Il y avait sûrement du tabac dans l"île, mais je n’en avais jamais vu et c’est peut-être la seule plante qu’il ne me vint point à l’esprit de brûler, alors qu’il est peu de feuilles et d’arbres, du tournesol au palétuvier, dont j’ignore maintenant le goût. Lasse de fumer, toujours comme les heureux oisifs, je mâchai des racines, découvrant parfois le goût de quelque médicament pris dans mon enfance. La patrie de ma potion Raoul pour raffermir les os, de ma poudre Richard pour durcir les gencives, c’était mon île justement. Puis je fis griller des fleurs, non plus sèches, mais épanouies, j’aspirai leur fumée, et de là, (ma maîtresse avait tout prévu) :

Le grand Chinois de Lancastre
Vous attire avec des fleurs…
Puis vous inonde d’odeurs…
Bientôt sa pipe est votre astre !
Du lys au pavot, Cécile,
La route, hélas, est docile !