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pression qu’il me suffirait de trouver un mot et de le crier tout haut pour sortir de cet enchantement. Je prononçais le premier venu au hasard, l’essayant sur l’horizon comme sur un coffre-fort, désirant plus qu’un sauveteur un simple dictionnaire pour le lire de bout en bout, certaine ainsi d’avoir à appuyer sur le vrai ressort, sur le mot qui ouvre Paris, les mansardes allumées, sur celui qui donne l’électricité, qui allume le gaz… En vain… Si dans ma sieste un nom me venait à l’esprit, je m’éveillais, je le criais vers la mer…

Rien, un oiseau.

je me rendais compte que je l’avais dit trop brutalement, qu’il fallait l’entourer de deux ou trois consonnes indistinctes. Je le logeais dans cet assemblage… Je le lançais…

Il y avait là-bas un tout petit remous, — mais un vrai petit remous. Puis, plus rien… Je songeais à mourir.

Mais c’est alors que Calixte Sornin apparaissait et me sauvait. C’était le premier nom de mort que j’eusse entendu, à ma première messe. De Calixte je ne savais que ce nom. Un paysan sans doute, un ouvrier. Mais moi seule, sans aucun doute, de tous ceux qui vivaient me le rappelais encore. Il était célibataire, il était orphelin, il avait quatre-vingt-onze ans, avait dit le curé.